LE REFUGE
Officiellement, ils n’existent pas. Ce sont des non-lieux. Journaliste, écrivain, Philippe Vasset a parcouru cinquante zones blanches de la carte de Paris n° 2314 OT de l’IGN afin de découvrir ce que cachaient ces espaces liminaux, trop périphériques ou trop marginaux pour être dignes de représentation. En leur donnant des couleurs, des odeurs, des formes, une existence, il a comblé une absence. Son ouvrage fascinant, Un livre blanc¹, m’a inspiré une exploration photographique. Lors d’une résidence artistique portant sur le territoire de l’agglomération de Montpellier, je suis parti à la recherche, non pas des « vides », mais des refuges de « vies » menacées de disparition.
En étudiant les cartes locales, à la recherche de mon sujet, j’ai été attiré par une ligne bleue, courte, fine. Un fil. Il sera mon refuge, pour moi qui travaille habituellement sur la ville, le béton, la condition urbaine. Le Lez est le second plus petit fleuve de France. Une trentaine de kilomètres à peine. Prenant sa source à Saint-Clément-de-Rivière, dans l’Hérault, il traverse neuf communes du territoire avant de se jeter dans la mer Méditerranée, à Palavas-les-Flots. Les épisodes cévenols le mettent en crue. Caractériel, son lit s’évade, se transforme.
Pompé pour des usages agricoles et industriels, souillé par les activités humaines, il a vu au fil des siècles son écosystème se dégrader. À l’été 2020, suite à la mort suspecte d’un chien, la pêche et les sports nautiques y ont été interdits.
Sous le tracé sinueux de la carte, le Lez se révèle aussi être l’unique lieu de la planète à abriter le «Cottus Petiti », ou Chabot-du-Lez, ou. Long de 3,5 à 6 cm adulte, coupé du monde, ce petit poisson ne peut vivre que dans les eaux propres et froides des deux premiers kilomètres du fleuve, près de sa source. Une mobilisation locale a permis une interdiction d’accès à certaines zones du fleuve. Mais le « Cottus Petiti » reste en voie d’extinction.
« Le poète laisse des traces de son passage, non des preuves », écrivait René Char. Quand on l’observe longtemps, perdu dans ses méandres, le Lez offre la poésie d’un monde que nous ne voyons plus. Pour la partager, en révéler les traces, j’ai remonté, puis redescendu son cours, photographié son embouchure, sa source, ses berges, ses ponts... pour tenter d’y saisir l'évolution de ses paysages, la rencontre entre la rivière et la ville, entre l’eau et le bâti, le sauvage et le maîtrisé, le végétal et le minéral. Ces images mêlent la main menaçante de l’homme et la beauté d’une rivière, d’un dernier refuge.
Capter, puis restituer. Quand est venu le travail de tirage, j’ai écumé les magasins de beaux-arts à la recherche d’un papier qui raconterait lui aussi une histoire. Les photographies présentées ici sont des tirages pigmentaires sur Lokta, un papier fait main avec les fibres d’un arbuste, le Daphne Papyracea, ou Lokta qui pousse sur les hauteurs du Népal. Son irrégularité et ses aspérités le rendent très capricieux et son impression est laborieuse. Sa teinte se situe dans celle des variations saisonnières du végétal et des sols. Elle évoluera de manière aléatoire avec le temps, permettant à l’image elle-même d’incarner les mutations de ce refuge.
THE REFUGE
The Refuge
They do not officially exist. They are non-places. Journalist, writer, Philippe Vasset traveled through fifty blank areas on IGN map n° 2314 OT of Paris to find what was hiding in these liminal spaces, too peripheral or marginal to be worthy of representation. By giving them colors, smells, shapes, an existence, he filled in a blank. His fascinating work, Un livre blanc¹, inspired my photographic exploration. During an artistic residency in the Montpellier area, I went in search not of voids, but places of refuge for lives threatened with extinction.
While studying local maps, looking for my subject, I was attracted by a short, thin blue line; a thread. It was to be my refuge, as my work usually deals with the city, concrete and the urban condition. The Lez is the second smallest river in France and is barely thirty kilometers long. Taking its source in Saint-Clément-de-Rivière, in the Hérault region, it flows through nine towns in the area before entering the Mediterranean Sea, in Palavas-les-Flots. Stormy rainfall in the Cévennes regularly causes it to burst its banks. Its riverbed overflows and transforms.
Its ecosystem has deteriorated over the centuries having been pumped for agricultural and industrial purposes and polluted by human activity. Fishing and water sports were banned in the summer of 2020, following the suspicious death of a dog.
Behind the winding path shown on the map, the Lez reveals itself to be the only place on the planet to be home to the "Cottus Petiti", or Chabot-du-Lez. This small fish, 3.5 to 6 cm long when fully grown, isolated from the world, can only live in the clean and cold waters of the first two kilometers of the river, close to its source. Local efforts have led to a ban on public access to certain areas of the river. But despite this, the "Cottus Petiti" remains on the verge of extinction.
René Char wrote, "The poet leaves traces of his passage, not proof". When you observe the Lez over a long period of time, lost in its meanderings, it offers up the poetry of a world that we no longer see. I traveled up, then down stream, photographed its mouth, source, banks, and bridges to try to grasp the evolution of its landscapes, the meeting between the river and the city, between water and buildings, the wild and the managed, the plant and the mineral. These images bring together the threatening hand of man and the beauty of a river, a last refuge.
First I capture then I render. When it came to printing, I began to search for paper in fine art stores that would also tell a story. The photos featured here are pigment prints on Lokta paper. This is paper made by hand from the fibers of the Daphne Papyracea, or Lokta, shrub that grows at high altitude in Nepal. Its unevenness and roughness make it very unpredictable and printing on it is painstaking. Its natural hue is consistent with the seasonal variations of the plant and the soil. It will randomly evolve over time, allowing the image itself to portray transformations in this place of refuge.